Une mission de coopération décentralisée entre l’Agence Francaise de Développement , le Sri Lanka et l’a-urba , mobilisant l’expertise patrimoniale française au service d’un site UNESCO
Développement touristique et patrimoine culturel, une excellence française
Petite île de 22 millions d’habitants dotée de huit sites inscrits sur la liste du Patrimoine mondial, le Sri Lanka est un territoire à haute valeur patrimoniale. Le pays étant en paix depuis 2009, son gouvernement souhaite y développer le tourisme hors des côtes déjà très fréquentées. Les sites culturels et naturels du centre de l’île, parmi lesquels la ville ancienne d’Anuradhapura, présentent une réelle opportunité pour des activités moins invasives.
Pour autant, les compétences patrimoniales locales sont encore balbutiantes sur trois points au moins : l’accueil du public, la concertation avec les usagers et les techniques d’investigation archéologique. L’État singhalais, considérant la France comme ayant une réelle expertise patrimoniale et touristique, a donc sollicité l’AFD1
pour l’aider à valoriser Anuradhapura, site archéologique de 12km², inscrit sur la liste du Patrimoine mondial et fleuron du patrimoine national.
L’AFD a missionné l’a-urba2
dans le cadre d’une convention de coopération décentralisée pour élaborer une stratégie d’amélioration de la fréquentation touristique et du fonctionnement du site. Notre réponse conjugue programme d’investissements et orientations en matière de gestion et de gouvernance. Pour garantir l’adhésion locale aux propositions, nous avons travaillé sous forme de workshop avec les acteurs locaux, pratique inhabituelle au Sri Lanka mais appréciée.
Le Sri Lanka, une diversité géographique et humaine
Le Sri Lanka est une île à la géographie particulière. Un important massif montagneux, support des cultures du thé et des épices domine le sud. Au nord, s’étend une vaste plaine sèche, grenier à riz du pays. Les côtes accueillent d’importants ports internationaux. Cette répartition ancestrale des activités économiques perdure.
Un dense réseau hydrographique relie le massif montagneux central à la zone sèche et aux côtes, réseau alimenté par deux fortes moussons saisonnières. Dans la plaine, il se prolonge par des zones humides et des marécages recouverts par la jungle. La régulation de l’alimentation en eau tout au long de l’année, entre le sud et les zones sèches, est un enjeu majeur pour la population qui en dépend pour toutes ses activités.
Anuradhapura, un paysage culturel
La civilisation singhalaise est née des capacités techniques mises au point dès le IVe siècle avt J-C pour y parvenir. D’immenses réservoirs artificiels ont été creusés pour retenir l’eau des moussons, laquelle est ensuite redistribuée par le biais de bassins et de canaux dans les villes et dans les rizières tout au long de l’année. Cette régulation a permis la transformation de la plaine sèche du nord en réservoir à riz. Les usages de l’eau furent vite taxés par les rois singhalais pour financer leur administration puis, dès 250 avt J-C, l’activité des moines bouddhistes. Religion, eau et royauté étaient donc intiment liées.
C’est à Anuradhapura, première capitale de l’île, que cette organisation sociale, politique et paysagère est née. Occupée du IVe siècle avt J-C au Xe siècle (ap J-C), elle constitue donc un témoin majeur de l’émergence de cette civilisation. Réservoirs, jungle, rizières, vestiges archéologiques et implantations religieuses y forment un paysage culturel caractéristique de ceux de la zone sèche.
Anuradhapura, capitale régionale contemporaine et foyer religieux
Capitale régionale de près de 50 000 habitants, cette ville active reste l’un des principaux foyers religieux bouddhistes de l’île. Elle attire chaque mois environ 30 000 pèlerins et plus de 500 000 trois fois par an. L’évènement majeur de Poson Poya rassemble lui près d’un million de personnes début juin. Une ville neuve a été construite à côté de la ville ancienne en 1950 pour accueillir les activités contemporaines mais le site archéologique reste occupé par près de 800 habitants et par la presque totalité de l’activité religieuse.
Un site aux multiples valeurs, objet d’importants conflits d’intérêt
Découvert par les anglais vers 1850, Anuradhapura a un intérêt archéologique majeur par l’ancienneté et l’importance de ses vestiges3
. Mais il a également d’autres valeurs : culturelle comme témoin de l’origine de la civilisation singhalaise, symbolique comme expression de l’hégémonie des singhalais bouddhistes sur le pays, paysagère par l’imbrication entre l’eau, les rizières, la jungle, les grande stuppas et les vestiges, faunistique comme espace recelant une diversité biologique reconnue, et religieuse bien sûr du fait des importants pèlerinages qu’il accueille.
Seules les valeurs archéologiques et historiques ont été retenues par l’UNESCO comme ayant un caractère exceptionnel et universel. Le plan de gestion élaboré en 1982 prévoyait en conséquence , de clôturer le site, de le vider de ses occupants, de le défricher et de le fouiller intégralement. Une route circulaire, empruntant les digues des grands réservoirs qui alimentent encore en eau la ville et les rizières, devait permettre aux visiteurs d’accéder à des points de visite aménagés.
Ce projet soulevait de multiples oppositions locales de la part des habitants, des commerçants, des moines, des services en charge de l’eau et des agriculteurs. Heureusement, les coûts de réalisation (éviction, fouilles puis entretien) l’ont rendu irréalisable… Il est donc resté au point mort.
Un projet alternatif reconnaissant les différentes valeurs du site
Très vite, nous avons compris que la seule manière de prendre en compte toutes les valeurs du site et de réconcilier les acteurs locaux autour d’un même projet était d’en changer le récit. Nous avons donc proposé de l’axer sur le paysage culturel caractéristique d’Anuradhapura. Ce nouveau regard a vite convaincu, chacun y trouvant sa place. De plus, le charme réel des vestiges que l’on découvre sous couvert boisé se prête aux visites lentes et à la rêverie, modalités compatibles avec leur caractère religieux.
Nous avons également renoncé à clôturer l’espace, traversé par de multiples flux, en créant un point d’accueil à l’intérêt suffisant pour attirer les visiteurs, comprenant billetterie, centre d’interprétation, services et départ des circuits de visite. Au vu de l’étendue du site et de sa fragilité, la découverte à vélo était la plus adaptée, complétée par l’offre locale en tuktuk. Les itinéraires ont été conçus pour augmenter la durée de présence sur place des visiteurs par la découverte de la diversité des patrimoines d’Anuradhapura, archéologique, paysager, faunistique et religieux.
L’affectation des voies à la marche et au vélo a imposé la réorganisation et la diminution de la circulation automobile et des stationnements. Les itinéraires piétons/vélos déjà pratiqués par les habitants et les pèlerins ont été privilégiés dans le projet. En y améliorant le confort et la sécurité, les aménagements à vocation touristique auront ainsi un bénéfice direct sur les usagers locaux. De même, la localisation des sanitaires et des locaux à déchets ont été pensés pour les deux types de public.
Pour faciliter la compréhension du site pour un public essentiellement européen et scolaire, nous avons proposé de créer un centre d’interprétation et des outils numériques de visite dans le site lui-même. Nous avions effectivement constaté un très bon taux d’équipements des usagers locaux en smartphone et une bonne couverture réseau.
Cette stratégie d’aménagement n’avait de sens que si les autorités locales évoluaient dans leur rapport au public et aux habitants et qu’ils acceptaient que la connaissance archéologique aujourd’hui ne nécessite plus systématiquement des fouilles intégrales.
Nous avons donc organisé pour un petit groupe de décideurs locaux un voyage en France pour les sensibiliser à ces aspects. À Nîmes et à Paris, ils ont fait l’expérience de nos modes d’accueil du public, de nos outils de médiation culturelle et du dispositif de l’archéologie préventive avec l’INRAP. L’École Française d’Extrême Orient leur a présenté l’intérêt de l’exploitation des données LIDAR dans la connaissance de très vastes espaces archéologiques comme celui d’Angkor. Cette courte semaine a été décisive pour l’adhésion technique au projet. En expérimentant, tous ont vu comment se saisir des outils que nous avions développés.
Le projet est aujourd’hui en cours de réalisation. Si les outils de gestion que nous avons proposés sont bien mis en œuvre, ce site peu fréquenté et méconnu peut devenir un lieu d’excellence et d’innovation en matière patrimoniale au Sri Lanka, reprenant ainsi un rôle de capitale culturelle et scientifique. Le centre d’interprétation ne finira alors peut-être pas comme celui de Sigiriya, bâtiment de très grande qualité mais vide et déjà dégradé…
- Agence française de développement – l’AFD est la banque de développement de la France. ↩
- a’urba, agence d’urbanisme Bordeaux Métropole Aquitaine : urbaniste - architecte du patrimoine, urbaniste spécialiste de mobilité et en sous-traitants : Alfred Peter paysage, Horwath bureau d’études spécialisé dans le développement touristique et C.Boutboul urbaniste installée au Sri Lanka. ↩
- Son étendue est estimée à près de 40km² dont seulement 12km² sont découverts et accessibles. Le reste est recouvert par la jungle. ↩